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Maîtres et familles d'accueil racontent....![]()
![]() « LES ADOS ONT ELEVE LE CHIEN GUIDE D'AVEUGLE » Pimkie est en passe de devenir un chien guide d'aveugle. jusque là rien de fantastique si ce n'est que cette jeune Hovawart a été élevée pendant près d'un an à Maisons-Alfort au centre socio culturel de la Liberté. Une douzaine d'adolescentes de 13 à 15 ans se sont attachées à l'éduquer en collaboration avec l'école de chiens guides de Vincennes. Le projet est né en 1999. Le centre socioculturel du quartier participe au festival Art'nimal organisé par la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports. Il s'agit pour les participants de concevoir des oeuvres artistiques autour d'un animal. Stella Delorme, directrice du centre, fait la connaissance de plusieurs membres de l'école de chiens guides. L'établissement cherche perpétuellement des familles d'accueil pour élever les animaux. «Ils ont besoin de se retrouver dans un milieu normal, où ils sont habitués à la vie courante», explique Laurence Berthault, éducatrice animalière. Séduite par l'idée, Stella se porte immédiatement volontaire pour héberger un chien et réaliser tout un travail avec les adolescentes du centre. «Pimkie est une chienne adorable mais toute petite je devais sans cesse la surveiller , la journée au centre, le soir à la maison. Et croyez-moi, elle m'en a fait des bêtises !». Le but de l'opération consiste à sensibiliser les jeunes sur la vie de l'animal, à ce qui va l'amener à devenir chien guide d'aveugle. Comme toute «famille» d'accueil, le groupe accompagne Pimkie le mercredi à son cours de dressage et fait plusieurs fois la rencontre de malvoyants. Grâce à Pimkie, les adolescentes se rendent compte qu'il n'y a pas que leurs petits soucis. «Elles se retrouvent face à une vraie remise en question entre leurs envies frénétique de biens de consommation et l'aveugle qui rêve seulement d'avoir un chien» explique, Aude Leveiller, animatrice du centre. Pendant plusieurs mois, les jeunes de la Liberté voient donc grandir cette chienne pas comme les autres. Ils s'en occupent, la nourrissent, jouent avec et finalement s'y attachent. Selon Stella Delorme et Aude Leveiller: «l'impact a été très important. Dans ce quartier, on est plutôt habitué à voir des pit-bulls. Donc, forcément, l'arrivée de Pimkie n'est pas passée inaperçue. Vous n'imaginez même pas à quel point ça pu être déstabilisant pour certains de voir un chien utile, de passer d'un rapport de force à un rapport affectueux». Avec beaucoup de patience, mais aussi beaucoup de contraintes, toutes ces jeunes filles ont participé activement à l'éducation d'une bête qui va «rendre ses yeux à une personne». Un peu peinées, elles se séparent de cette Hovawart qui doit maintenant suivre à l'école de chiens guides la phase finale de son dressage. Dans quelques mois Pimkie devrait être confiée à un étudiant aveugle qui en aura bien besoin pour ne pas se perdre dans les dédales de la fac. Article de Vincent Groizeleau . RETOUR à la liste des témoignages
![]() Ma première rencontre avec Le Hovawart a eu lieu en février 1994, lors d'une visite à l'école de Chiens Guides de Paris. Ils étaient trois chiots de trois mois, déjà bien éveillés, ressemblant plus à des peluches qu'à de futurs gros chiens. J'avoue que je fus séduit de suite mais il était encore trop tôt pour savoir si l'un de ces chiens me conviendrait. Il fallait donc attendre et ne pas se focaliser sur cette race... Pour avoir la suite: http://perso.club-internet.fr/mferrant/
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![]() Pour une première demande, le temps d'attente est un peu long: pour ma part j'ai dû attendre deux ans. Ceci dit, je trouve normal que les personnes ayant déjà eu un chien guide aient priorité dans la mesure où le retour à la canne leur est certainement pénible après avoir goûté au bonheur d'avoir été guidée par un chien. Donc, après avoir fait ma demande par écrit, rempli un questionnaire, vu un psychologue, enfin après que l'on eut tenté de cerner vaguement le type de chien qui pouvait me correspondre, est arrivée mon heure et il a fallu commencer par chercher, parmi les chiens susceptibles de me convenir, celui avec lequel à la fois je me sentirais en confiance et avec lequel il y aurait un feeling réciproque. Pour l'essai des chiens, on m'a fait faire des parcours avec divers chiens au harnais. Un éducateur était avec moi pour m'indiquer les consignes à donner au chien. Ma seule tâche était de voir comment je me sentais avec le chien. Le fait d'en essayer plusieurs permet de sentir diverses allures, et même divers types de démarches (démarche plus ou moins raide, plus ou moins assurée...). Si on n'a pas de certitude d'emblée, l'école nous permet de revenir... Puis, lorsque l'on pense avoir trouvé le chien qui nous convient à peu près (je le mets au conditionnel car au début, moi j'avais plein de doutes sur tout), on peut prendre le chien chez soi pour le week-end et voir si sa "personnalité" nous convient également. Pour ma part, Patty m'a plu car elle avait une démarche assurée, même un peu trop, et, en tant que chien de compagnie, c'était vraiment ce que je recherchais: joueuse, avec du caractère, mais à la maison ce n'est pas une tornade et les règles de vie sont bien intégrées. Puisque le chien me convenait, l'école m'a proposé un stage de remise. J'ai fait deux semaines de stage à l'école où j'ai appris les consignes à donner au chien, les bases d'éducation indispensables, comment effectuer certains soins... Pendant ces deux semaines, je me suis sentie complètement chamboulée, et je me suis même demandée à un moment si Patty serait un jour mon chien guide! C'était une chipie qui refusait de se prêter à certains exercices, il fallait s'y reprendre plusieurs fois, elle ne cherchait qu'une chose: être devant... J'ai eu des moments de découragement, de plus les repères ne sont pas les mêmes qu'avec la canne; j'ai trouvé ce stage intense et fatiguant dans le sens où j'ai dû modifier ma perception de l'environnement, faire confiance au chien... ce qui ne va pas immédiatement de soi! La dernière semaine, l'éducateur a fait avec moi mes trajets habituels. Et puis, le jour où il est parti je me suis sentie bien seule. Si j'ai dit tout cela c'est pour dire que pour moi pour tout n'est pas allé de soi d'emblée. Par contre, je peux dire que maintenant je n'échangerai mon chien pour rien au monde, qu'elle est un excellent chien guide avec qui je me sens quelquefois plus en confiance qu'avec certains humains, qu'elle me donne une liberté extraordinaire, que cela a changé mon rapport au monde et aux autres. Il m'est arrivé une fois de devoir reprendre la canne, je me suis sentie bien seule et bien misérable d'un coup: le même trajet m'a pris beaucoup plus de temps, j'ai découvert des obstacles dont j'ignorais l'existence... Toutes les questions que l'on se pose avant d'avoir un chien sont bien légitimes, et la confiance, pour moi en tout cas, n'a pas été acquise d'emblée. Mais une fois que l'école m'avait suffisamment préparée pour naviguer seule, cela est venu très vite (en deux ou trois semaines je n'avais plus d'appréhension), et je me suis rendue compte que tout ce que l'on m'avait appris m'était d'un grand secours. Et surtout, au début, on a encore des questions à poser, eh bien je n'hésitais pas et ai toujours trouvé réponse à mes questions ce qui rassure bien ! En fait, on a coutume de dire que lorsque l'on a un chien, l'équipe s'établit vraiment en six mois au cours desquels le chien qui s'habitue également à son nouveau maître, guide de mieux en mieux. Olivia RETOUR à la liste des témoignages RETOUR vers "Remise du chien"
Je suis kinésithérapeute dans un établissement accueillant des enfants polyhandicapés de 4 à 12 ans. Lorsque j'ai dit que j'allais avoir un chien guide, la direction a accueilli la nouvelle de façon tout à fait positive: en plus de me guider dans mes trajets pour me rendre sur mon lieu de travail, ils y ont vu le côté positif pour les enfants. Les enfants qui sont pris en charge dans cet établissement ont des troubles divers, tant sur le plan moteur que mental, et certains d'entre eux présentent également des troubles du comportement. Le directeur a immédiatement prévenu tout le monde que Patty aurait le droit de se promener partout dans l'établissement sans restriction. Avoir un chien est un rêve de plusieurs établissements mais c'est assez compliqué: qui s'occuperait de lui le soir, qu'en faire pendant les vacances?... de cette façon, tout ce genre de problèmes était résolu. Il se trouve en effet que Patty a trouvé un accueil chaleureux auprès du personnel, mais aussi et surtout auprès des enfants: certains d'entre eux font des efforts incroyables pour se rapprocher de Patty et la toucher, d'autres enfants se risquent à prendre appui sur elle pour se mettre debout... Les interactions se passent au mieux, chacun doit composer avec l'autre: certains enfants ont peur lorsque Patty va leur faire une léchouille, et à l'inverse, Patty n'apprécie pas toujours d'être prise pour un déambulateur, mais ils arrivent à composer les uns avec les autres pour finir par s'entendre. Certains enfants tétraplégiques veulent la caresser, il faut un peu les aider, Patty se prête bien au jeu, elle pose sa tête sur l'enfant, mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps, elle se sauve. Alors l'enfant fait l'effort d'utiliser le peu de motricité qu'il possède pour tendre ses bras, essayer d'ouvrir la main, redresser la tête pour la regarder, et essayer d'articuler son nom. Pour les enfants plus craintifs, on les voit petit à petit se détendre, hésiter, ne sachant pas trop ce qui va être le plus fort entre le désir d'aller vers Patty (qui est aussi mon chien et ce n'est pas anodin), et celui de l'éviter; on les voit vaincre leur crainte jour après jour. Par l'intermédiaire de Patty, on voit également se jouer les rapports à l'autre: des enfants assez introvertis se mettent à lui donner des ordres, vouloir qu'elle vienne se coucher près d'eux pour qu'ils puissent l'attraper, la câliner... tantôt Patty accepte, tantôt elle refuse... Enfin, on note clairement plusieurs effets positifs sur les enfants. Pourtant Patty est assez dynamique, vive, a un caractère assez fort... eh bien là, elle ne saute pas sur les enfants, n'est pas brutale, a des attitudes insoupçonnées bien qu'elle n'ait pas été éduquée dans ce sens. Ceci dit, il faut, bien sûr, veiller tout de même à ce que tout se passe bien (que les enfants ne lui tirent pas les oreilles, la queue, les poils... enfin tout ce qu'ils parviennent à attraper, cherchent à lui marcher sur une patte lorsqu'elle est couchée et refuse d'obéir...), car si Patty est patiente, elle a grogné deux ou trois fois parce qu'un enfant lui avait carrément arraché une touffe de poils (cela ne doit pas faire du bien!) Avec ses journées bien chargées, Patty me guide encore sur le trajet du retour à la maison, et je peux vous dire que ces jours-là elle va vite se coucher dans sa corbeille et semble bien lessivée. Mais le lendemain, elle remet ça avec entrain! Olivia RETOUR à la liste des témoignages RETOUR vers "Remise du chien"
![]() Lors de ses premières détentes sur la plage, il y a près de cinq mois, elle courait à vive allure en faisant de grands cercles autour de moi. Aujourd'hui, elle veut jouer, tire sur sa laisse, fort, très fort. Quel contraste entre sa douceur quand elle est au harnais et cette force quand elle est lâchée! Puis elle court, vite, très vite. Elle fait de grands huit qui croisent par moi, saute pour donner des coups de tête dans le dos, des coups de mâchoires sur les bras. Elle se décharge de la tension accumulée par ses heures de guidage pendant lesquelles sa concentration est extrême. Son défoulement ne dure que quelques minutes. Je l'entends ensuite aller par-ci, par-là, fouiller dans le sable, creuser, se rouler dans le sable humide ainsi dégagé, s'ébrouer et reprendre plus loin ses petits exercices... Aujourd'hui, elle ne semble pas s'intéresser au goémon, à ce qui pourrait traîner, laissé par la marée, quelques carcasses de bébêtes marines... Pendant ce temps, équipée de ma canne blanche, je marche le long des vagues, à quelques pas de l'écume. Au bout d'un quart d'heure environ, je retrouve la sortie de la petite plage en m'orientant avec le bruit des vagues et celui du grelot de Prima; elle a pris la même direction que moi. Je l'appelle et elle arrive tranquillement à mes pieds. Je lui remets sa "tenue de travail" en la câlinant et en lui disant: «Allez Ma Belle, la récré est terminée! » . Nous reprenons la route pour rejoindre un peu plus loin le sentier côtier, celui qui a été inondé par les grandes marées du week-end dernier.... Là aussi la mer est loin, très loin. Si loin que je n'entends pas les vagues au pied des rochers. Allons explorer cette petite crique par ce chemin qui y descend et que je n'ai encore jamais osé emprunter au-delà du sol terreux. Après la terre, les rochers... «Allez Prima, cherche la descente! » Prima s'engage sur les rochers. Elle travaille bien, tourne et contourne, s'arrête chaque fois que les rochers forment une marche, et me laisse le temps de chercher la dénivellation du bout des pieds. La progression est lente mais très assurée. Prima est très attentive, précautionneuse. Nous voici arrivées sur le sable. Quelle superbe impression de liberté que fouler ce sable pour la première fois! Prima m'emmène vers le fond de la crique, du côté des rochers à pic, contrefort du sentier là-haut que nous empruntons quasiment chaque jour. La roche me donne l'écho des vagues lointaines. Je touche à pleines mains ces pierres si souvent frappées par la mer. Cette paroi rocheuse, minérale, dont je ne perçois que ce que mes mains me donnent d'elle, est figure de durée que le présent, lentement, très lentement, effrite peu à peu, aidé par les assauts du large toujours en mouvement. Et si les excroissances rugueuses étaient les souvenirs douloureux qui résistent à l'oubli... Et si les surfaces lisses, polies en des formes rondes et douces, étaient les souvenirs heureux et légers sur lesquels il fait bon se reposer un peu de temps en temps... Du bout d'un bras, je caresse ces zones disparates. Au bout de l'autre, Prima. Entre les deux, mon imagination me transporte à mille lieues du sentier familier... Chaque son, chaque odeur, chaque matériau est pièce de puzzle que ma pensée organise en un décor imaginaire; c'est "ma" vision du monde, représentation d'une réalité où la lumière et les couleurs, les champs et les perspectives sont absents. Un monde de sons, d'odeurs, de matières dans lequel j'apprends à palper l'air, à remonter jusqu'à la source d'un bruit, à m'enivrer du parfum des choses. Ce monde où chaque jour nouveau offre merveilles et beautés à mes sens étonnés! Puis je tourne le dos à la paroi et dis à Prima d'aller vers la mer, droit devant nous. Au loin devant, le bruit des vagues; derrière tout proche, leur écho. Je viens de celui-ci et vais vers sa source... en planant au raz du sable... Prima contourne des obstacles aussi réels pour elle que fantomatiques pour moi; je la suis, scrupuleuse malgré l'euphorie qui me gagne... Nos pas sont de géantes! Entre trous d'eau et rochers peut-être... Quel bonheur de marcher sans hésitation sur ce sable vierge! «Quelle douceur que ce goût de liberté que tu me donnes, Prima ! » Comme je me sens légère! Puis l'écume, bientôt à nos pieds... Je me demande jusqu'où elle irait si je ne lui disais pas de s'arrêter... Prima s'assied, face à la mer. Comme il fait bon là, si près des vagues et si loin de la côte! Encore une bouffée de liberté! Encore, encore une! L'espace s'agrandit! Et chaque petit coup du vent frais sur le visage est manifestation du mouvement permanent des éléments. Grandioses petits bonheurs à saisir, à portée des sens! «Merci Prima! Je n'aurai pas pu venir là sans toi! » Prima regarde vers le large, sans bouger. Captivée, intriguée, étonnée, méditative... je ne sais interpréter cette attitude qu'elle a chaque fois que nous faisons face au large. Je la laisse faire, immobile moi-même. Moi-même fascinée par cette grisante sensation de liberté que je n'ai pas éprouvée depuis... depuis quinze ans que je suis aveugle! Ou presque... Car il y eut, un après-midi de juillet 93, ce galop lors d'une randonnée à cheval dans les Pyrénées... Fantastique sensation de liberté de déplacement ! Il m'arrive, d'ailleurs, de surnommer Prima "mon petit cheval", quand nous marchons d'un bon pas et qu'elle trotte avec une apparente légèreté qui lui donne belle et gaie allure sous le harnais! Mais le large, le grand large! Les vagues, puissantes aujourd'hui. Au-dessus de ma tête, les cris des goélands dessinent des arabesques sonores éphémères. Le fort vent ajoute au tumulte la touche d'impermanence indispensable à la joie de vivre renouvelée d'instant en instant! Tous ces bruits imprègnent peu à peu le silence de ma nuit. Je me sens grain de sable de cette plage, goutte d'eau de cet océan, coup d'ailes de ce goéland, bruit du vent et goût du sel, forte comme la vague et fragile comme l'algue qu'elle malmène, résistante comme le roc et aussi légère que l'écume, aussi rebelle que le vent et soumise que l'horizon.... La mer. Elle est là. Tout proche. Si proche. Si mon regard ne peut plus l'embrasser, j'en jouis par tous mes autres sens! Et sa beauté m'atteint aujourd'hui par cette fabuleuse sensation de liberté qui me grise tant! Mais... Mais n'est-elle pas en train de remonter? «Allez Prima, on a fini de rêver! On remonte sur le sentier, cherche le chemin! » Mais saura-t-elle retrouver ce sentier? Nous sommes loin peut-être, si loin... Et cet ordre ne lui est pas familier... Comprend-elle ce que je lui demande? De plus, je n'ai pas du tout pensé à me concentrer sur la distance parcourue entre le fond de la crique et les premières vagues. Je me suis laissée happer par cet air de liberté, cette petite euphorie grisante... alors je ne sais trop quand commencer à lui dire de chercher "l'escalier" qui d'ailleurs ne ressemble sans doute pas du tout à un vrai escalier.... Voit-elle le chemin de là où nous sommes? N'est-il pas trop haut pour être visible? De sa hauteur, que voit-elle... Nous marchons un moment sur le sable; derrière nous, le bruit des vagues s'éloigne peu à peu. «Allez, Prima, cherche l'escalier maintenant! » Je lui demande peut-être trop tôt... Et puis je ne sais pas si elle comprend le mot "escalier" que je lui dis pour lui demander de "remonter". Elle grimpe doucement sur des rochers, attendant à chaque pas que je fasse celui qu'elle vient de faire, toujours attentive à ma progression, précautionneuse. Nous grimpons, grimpons encore. Mais pourquoi j'entends le bruit des vagues si près de nous? Ne sommes-nous pas en train de grimper sur des rochers vers l'autre côté du petit chemin qui mène à la crique? Vers là où jusqu'à présent, d'après les bruits des vagues, j'imaginais que la mer s'écrasait sur des hauts fonds... Je me demande où nous sommes. Je stimule encore Prima pour qu'elle cherche le chemin. Il me semble que nous tournons un peu en rond en montant sur ces rochers. Elle s'arrête d'ailleurs. J'insiste pourtant. Elle s'assied. J'insiste encore, elle se pétrifie dans la position assise, fermement décidée à ne plus en bouger. Elle devrait se coucher si nous ne pouvons plus avancer... Mais en fait, a-t-elle la place de se coucher? Je tâte du pied. Non. Où sommes-nous, que faisons-nous là, face à un cul de sac sur le vide! Nous sommes sur le haut d'un amas rocheux. Il nous faudrait descendre mais la marche est haute! C'est pourquoi Prima a stoppé... Je m'assieds aussi car en cet instant de ma réflexion un petit vent de panique m'emplit le cerveau par les oreilles : tout à coup, le bruit des vagues se fait plus fort, plus présent, et une impression d'accélération de leur flux et reflux nourrit ma panique! La mer monterait-elle à la vitesse d'un cheval au galop, ici même... Amas rocheux, Mont Saint-Michel... S'asseoir pour se détendre. Contrôler la confusion naissante. Réfléchir tranquillement pour stopper l'imaginaire en train de parasiter la raison raisonnable... Si possible... Je ne me représente pas retrouvant seule le sentier côtier. Impossible de donner des indications de direction à Prima. Nous en sommes trop loin. Je ne le situe pas. Et pire : je ne me situe pas, je ne peux plus m'orienter... Le bruit des vagues est si près, trop près. Je risque de m'engager vers d'autres rochers, encore et encore. Et cette mer soudain galopante! Je ne peux même pas me servir de ses bruits pour m'orienter... Les vagues et leurs échos dans la paroi rocheuse se mêlent, me désorientent. Le vent, par rafales, tournant, me perturbe. Prima. Elle a essayé... Elle est montée... mais de sentier il n'y a point en haut de ces rochers là... Je lui ôterai le harnais et la laisse pour qu'elle nage plus facilement, au cas où... J'ai bien le téléphone dans mon sac à dos mais aucun numéro de voisins en mémoire accessible, pas même dans ma propre mémoire... Pourtant, si j'avais pu appeler Gaétane et Théo, ils auraient pu me rejoindre ici et m'aider à sortir de là, c'est sûr. Pas la peine d'y penser davantage. D'ailleurs, ils ne sont peut-être pas chez eux... Depuis qu'Adrien vient travailler le week-end à la maison, j'ai l'idée de faire cette ballade avec lui pour qu'il me décrive précisément la côte, les accès à la mer. Nous n'avons pas encore pris le temps de le faire. Et je me suis quand même aventurée là aujourd'hui... Et Val, elle aurait pu être là, à la maison, ces jours-ci... Et si j'appelais Elora? Mais c'est dimanche, elle dort. Et puis elle habite si loin que la mer sera haute avant qu'elle n'arrive... Que de pensées inefficaces à me sortir de là, mais réconfortantes... Me sortir de là. Curieuse impression d'enfermement dans cet espace qui tout à l'heure m'inspirait tant la liberté! Me voici face aux barreaux du vide! Enfermée par les bruits. Emprisonnée dans l'espace sonore de ma nuit. Saturation. Il n'y a plus que des sons, et ces sons parasitent ma concentration, court-circuitent mes capacités à trouver une solution. Et le temps passe. En d'inefficaces pensées. Pensées inefficaces? Non. Il y a tous ces bruits. Ces bruits que j'aime. Que j'aime et qui m'oppressent pourtant. Un peu comme l'amour. L'amour... L'amour? Quelque part, il y a des gens qui m'aiment et que j'aime. Quelque part au-delà de ces bruits qui m'isolent. Et Prima. Prima! Arrêter de penser. Faire. «Debout Prima, on y va» ;, lui dis-je en me levant. «Allez Prima, on redescend là où on était tout à l'heure, sur la plage.» Elle se lève, fait un demi-tour très serré sur elle-même et m'entraîne vers là où nous étions, doucement, avec encore beaucoup de précaution et d'attention. Une fois à nouveau sur le sable, nous marchons un peu, le dos à la mer, puis elle décide de prendre vers la gauche. Nous grimpons, grimpons, encore et encore. Et encore une fois, nous nous retrouvons là où nous étions acculées à redescendre par les rochers de tout à l'heure. Il me semble... Car elle s'assied à nouveau, ne veut plus avancer. Je tâte du bout du pied : même rocher, il me semble; même vide en tous cas devant nous. Mêmes bruits de vagues! Mais qu'est-ce qui attire Prima ici? Comment faire pour me faire comprendre d'elle? «Allez ma belle, on recommence. Ce n'est pas ça qu'il faut trouver, c'est retourner à la plage, rentrer à la maison! » Et si elle avait raison? S'il suffisait de descendre de là pour retrouver le chemin ? Qu'est-ce qui me fait douter si fort? Juste le bruit des vagues, là, en bas, seulement ça... Et cette trop grande marche... Elle repart. Nous recommençons la descente. Mais cette fois, elle ne va pas si tôt à gauche quand nous arrivons sur la plage; elle marche un moment sur le sable. Nous avons rejoint le fond de la crique et elle cherche. De ma main libre, je touche le flanc de cette falaise. Je m'y adosse quelques instants, le temps de ne plus entendre que le bruit des vagues, sans leur écho: cela me rassérène un peu. Est-ce bien en haut de celle-ci que court le sentier que nous cherchons? Prima cherche avec son nez nos traces de tout à l'heure peut-être... Je la suis en tenant fermement son harnais. Nous reprenons les rochers. Parfois, il me semble qu'elle m'aide à maintenir mon équilibre quand je bascule un peu, n'ayant pas suffisamment tâté le terrain avant de poser le poids du corps sur le pied. Elle progresse doucement mais sûrement. Les rochers sont plus plats maintenant. Nous poursuivons lentement notre avancée. Quand nous passons près de rochers accessibles à ma main droite en hauteur, je cherche des marches dans la paroi. Je ne trouve rien. Rien que des rochers informes, évidemment. Il me semble que Prima renifle beaucoup sur ce parcours; beaucoup plus que les deux précédents. Je ne le lui fais pas remarquer, ne le lui reproche pas. Peut-être a-t-elle besoin de son odorat pour retrouver le chemin; peut-être l'escalier est-il caché à sa vue par des rochers. Elle ne fait que 63 cm au garrot, ça ne lui permet pas de voir au loin, surtout quand une pente rocheuse masque peut-être l'objectif. Alors son nez prend le relais de ses yeux, peut-être... Elle est tendue. Elle cherche. Elle n'a pas l'excitation que je lui connais quand elle fouille au pied d'un banc public, par exemple... Elle est complètement différente. «Allez ma grande, renifle tant que tu peux si tes yeux ne suffisent pas... Moi, je ne sens plus rien, je n'entends plus rien, je te suis.» Du sable. Des rochers. Encore du sable. Encore des rochers. Puis des rochers plats, dont la surface horizontale plane est de plus en plus grande au fur et à mesure que nous avançons. Et puis mes pieds foulent de la terre! Un pas, deux pas... Je ne reconnais pas encore le chemin familier mais je félicite déjà Prima et la stimule encore pour retrouver le sentier. Elle ne s'arrête pas pour apprécier les caresses de récompense, elle continue d'une démarche imperturbable, comme si nous n'étions pas encore en lieux sûrs.... Cette terre sous mes pieds n'est-elle pas celle que nous connaissons? «Allez, Prima, va, cherche le sentier! Plus que quelques pas peut-être...» Ça y est! Nous y voici! Quel soulagement que de fouler cette terre, que de sentir cette haie, que de toucher ce mur de pierre! «Bravo Prima! Tu as réussi! » Nous marchons. Lentement. Fatiguées. Encore tendues par l'effort ; et moi par la panique! D'ici, le bruit des vagues a repris le rythme qu'il avait quand nous sommes passées là tout à l'heure, dans l'autre sens... la mer est basse encore, les vagues lointaines... Nous sommes là, sur le sentier côtier que nous fréquentons tous les jours. Prima a fort bien compris ce que je voulais quand je lui demandais de remonter, retrouver le sentier, de revenir sur le chemin. Et depuis le bord des vagues jusqu'ici, elle n'a pas relâché son attention, sa concentration. A aucun moment elle ne s'est agitée, n'a manifesté une quelconque expression de stress, ou d'impatience. Tout au plus l'ai-je sentie plus tendue, comme raidie par sa concentration quand elle cherchait à remonter sur le chemin, lors de sa troisième tentative surtout. Mais peut-être était-ce simplement dû à sa participation au maintien de mon équilibre... Encore une fois, elle m'impressionne. Comme ce sentier est rassurant! Qu'il fait bon s'y promener en ce beau dimanche d'automne !!! Je souris intérieurement en pensant à l'homme croisé ici en juillet, un jour où le vent forcissait à 9 sur l'échelle de Beaufort... Trop protecteur, trop angoissé peut-être par la cécité qu'il voyait marchant debout... Il avait tenu à m'aider à parcourir moins de la moitié de ce qu'il nous reste à faire aujourd'hui avant de retrouver la route goudronnée... Il gênait l'avancée de Prima, la mienne, mais je n'osais rien dire, remerciais poliment à chacune de ses encombrantes recommandations. S'il nous avait vues aujourd'hui... Et celui qui était arrivé en courant derrière nous, nous criant de ne pas aller plus loin! Nous étions tranquillement assises au bout du chemin, Prima et moi, face au large, contemplatives... Pour toute réponse, j'avais tourné mon visage vers lui et lui avais souri, sans mot dire, mais en inclinant lentement ma tête vers le sol. Il était reparti, un tantinet déconcerté je crois, penaud peut-être... Et cet autre qui nous avait interpellées en nous barrant le sentier disant : «N'allez pas plus loin! C'est un cul de sac! » Je lui avais répondu : «Bonjour Monsieur, je sais, Monsieur, nous pratiquons ce sentier tous les jours.» Et d'une vois très étonnée, il avait rétorqué : «Tous les jours! Ce sentier! Mais vous êtes aveugle, non?» Je ne répondis rien et fis demi-tour en disant tout bas à Prima : «Allez ma Belle, demi-tour, pour une fois, tu n'iras pas posé tes pattes avant sur le portail de cette propriété qui obstrue le sentier côtier. Nous reviendrons demain! » Pas un pour dire : «Bonjour, puis-je vous aider?» Mais aujourd'hui, à l'heure du déjeuner, il n'y a personne à flâner sur le sentier... Personne. Personne pour s'inquiéter de ce que nous pouvons donner à voir... Pour nos ballades solitaires, désormais, je choisis l'heure. Hé! Je fais la fière maintenant! Je ne l'étais pas tant il y a quelques instants... Prima ralentit à peine là où d'habitude elle s'arrête vraiment, en haut de l'escalier à pic taillé dans la petite falaise. Un rapide mouvement de tête sur sa gauche me dit qu'elle a seulement jeté un coup d'oeil. Si ma représentation mentale du secteur est exacte, de là, elle doit voir là où nous étions tout à l'heure... la crique, les rochers, les vagues... Et là où elle aime bien regarder vers la mer, à l'endroit où le petit muret devient grand, elle ne s'arrête pas non plus. Nous allons directement sur la route et elle tourne à droite, comme d'habitude, sans hésitation aucune. Elle me semble se détendre un peu en marchant sur le bord de la route. Rentrerons-nous directement à la maison ? Aux escaliers qui descendent au square surplombant la grande plage, elle s'arrête. Elle veut descendre. Je suis d'accord. Et une fois sur le terre-plein, au lieu de la laisser aller vers le banc, comme d'habitude, je lui demande de chercher l'escalier qui descend vers la grande plage. Elle le trouve sans tarder. Pour une fois que je lui demande ce que je lui ai si souvent refusé parce que la mer ne nous permet pas toujours d'accéder à la plage par cet escalier... Mais aujourd'hui, c'est grande marée basse ! Une fois sur le sable, elle va devant, comme si elle avait un but précis. Si nous étions rentrées directement à la maison, elle aurait pris l'escalier à gauche, celui qui va de la plage au bas de la rue du retour. Nous marchons sur le sable jusqu'au parking du port. Cette fois, elle trouve correctement la sortie, petit espace libre dans le muret qui borde la plage, le long de la route qui descend au port. D'habitude, elle se laisse distraire par une foule d'odeurs qui traînent sur les rochers séparant la plage du parking. Pas aujourd'hui... Sa détermination m'étonne... Sa démarche a quelque chose d'automatique... Nous stoppons là pour prendre une décision. J'hésite à poursuivre la ballade jusqu'au bourg par la corniche. Les émotions de tout à l'heure ont suffit à me fatiguer. Je dis finalement à Prima que nous allons rentrer à la maison. Nous reprenons notre marche. En haut de la rue, elle tourne à gauche et fait très bien ce parcours peu commode jusqu'aux feux rouges. Mais moi je suis perturbée... et me déséquilibre sur le bord du trottoir, ou ne la suit pas exactement quand elle me signale un passage étroit, des plots... Oui. Je suis fatiguée, je n'ai plus les mêmes aptitudes à me concentrer sur les informations qu'elle me transmet par son harnais. Autant éviter les difficultés pour aujourd'hui... J'ai bien fait d'opter pour un retour à la maison... Tant pis pour le marché. Tiens, un motard s'arrête au feu vert pour nous laisser traverser !!! «Allez Prima, on traverse! » Un autre motard nous croise quand nous sommes à mi-chemin de la maison. Encore un clin d'oeil à l'idée de la liberté que m'inspirent ces bruits de chevaux mécaniques... Et encore bravo Prima! Nous voici à la maison. ![]() Dur métier que d'être chien-guide d'aveugle ! Et de cette "aventure"... Intégrerai-je un jour la réalité de la cécité en mon for intérieur? La laisserai-je brimer mes élans de liberté, brider ma curiosité, grimer mes rêves, brouiller mon bonheur d'être en vie? Ou bien lui donnerai-je enfin en moi la place qui lui revient? Dur "métier" que d'être aveugle... «Merci Prima. J'ai beaucoup appris encore de toi aujourd'hui, et de moi par toi. Merci à toi! » Maïp , Pornic, le 22 octobre 2002. RETOUR à la liste des témoignages ![]() |
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